Le Myosotis Occitan

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Regard sur la Franc Maçonnerie


Un certain regard sur la FM - chap. 5 "Le verrou spiritualiste"

Publié le 17 Mars 2017, 14:40pm

Un certain regard sur la FM - chap. 5 "Le verrou spiritualiste"

Chap. 5Le verrou

Ce formatage de la F.M. traditionnelle libre, entérinée en 1813, ne s’arrêtera pas à une mise en scène de la réception, de l’initiation, et de la transmission des enseignements au sein des loges.

De nombreux membres acceptés devenus maçons spéculatifs ayant, avec le prosélytisme des convertis, à cœur d’apporter leur propre vision de la pédagogie maçonnique, les rites « initiatiques » se multiplièrent. À partir  du milieu du XVIIIème siècle  (1740 ?), de nouvelles instances apparaissent qui se consacrent chacune exclusivement à l’élaboration d’un scénario initiatique particulier (le rituel). Elles font assaut d’imagination dans la segmentation en grades successifs du processus initiatique pour ménager un large espace de progression, avec une succession des grades et titres (jusqu'à 99) pour sanctionner les progrès. Au point que, dans la seconde moitié du siècle, l'on dénombrera jusqu’à une centaine de rites.

Leur positionnement vis-à-vis de la « Grande Loge de Londres et Westminster » (GLLW), puis de la « Grande Loge des Francs et Acceptés Maçons selon la Vieille Institution » (GLFAMVI, 1751), dans l'organisation encore récente et sommaire de la franc-maçonnerie anglaise centralisée, posa alors problème et les rôles et droits respectifs de ces différentes instances durent alors être précisés. Ce qui fut fait, de la façon suivante :

  • Ces nouvelles instances maçonniques prennent le nom de « Juridictions ordinales » c’est-à-dire qu’elles constituent la référence de droit dans un secteur dont la complexité (processus initiatique) nécessite une juridiction spécialisée, un ordre ;
  • Chacune de ces juridictions voit sa compétence pour l’élaboration du processus initiatique et de la liturgie du rite particulier qui en sera issu, et sa légitimité, reconnues par une grande loge et une seule, sur la quelle elle sera dite « souchée », sans toutefois aucun lien de subordination entre les deux entités ;
  • La juridiction abandonne à la grande loge sur laquelle elle est « souchée » l’autorité sur les grades (dits « symboliques »), en général les 3 premiers de son processus initiatique (réception de l’apprenti (initiation) – passage du compagnon – élévation à la maîtrise). Elle conserve l'autorité sur les grades ultérieurs dans son parcours dit « supérieur » ;
  • Les membres d’une Juridiction ordinale restent nécessairement membres de la grande loge sur laquelle celle-ci est souchée. Dans cette juridiction ils poursuivent, au-delà des premiers grades symboliques et jusqu’à son accomplissement, le parcours initiatique du rite.

Après cette mise au point, les initiatives les moins crédibles disparaîtront. Il en reste néanmoins aujourd'hui une vingtaine qui se différencient par l'inspiration mythologique et le cheminement pédagogique, dont la moitié ne peut plus prétendre à une population significative de pratiquants.

Néanmoins, ces juridictions de rites sauront se montrer utiles, notamment pour répondre à une situation nouvelle, inattendue parce qu’inconnue chez les opératifs, une situation à laquelle les spéculatifs, qui n’ont pas tous en eux les ressources pour animer leur réflexion, vont devoir faire face : l’ennui.

Les FFMM spéculatifs n’ont pas le même sentiment de l’œuvre dans leur chair. Ils n’éprouvent pas cette plénitude qu’offre la fatigue des muscles au repos, et de joie qui accompagne l’achèvement d’un beau travail, ni l’appréhension devant un nouveau défi, qui rythmaient alternativement la vie des chantiers. Ayant, en quelques années, accédé à une maîtrise abstraite, les FFMM spéculatifs, qui n’ont pas toujours matérialisé les responsabilités du grade, les devoirs de travail, de transmission et de recherche qu’il comporte, estiment avoir fait le tour de la question, et nombre d’entre eux désertent les loges.

Les « juridictions » arrivent donc à point nommé pour pallier ce problème de désaffection en proposant une poursuite du processus initiatique dans des ateliers dits de « hauts grades » qui vont remobiliser les initiés sur des exigences accrues, sanctionnées par une suite de titres et des grades symboliques. Recrutant leurs membres parmi les plus exigeants des frères des différentes loges de la grande loge sur laquelle elles sont souchées, elles vont en outre permettre d’élargir l’horizon maçonnique au-delà de la seule loge à laquelle se cantonnent trop souvent les membres qui la composent.

Dans les ateliers de ces juridictions ordinales, se poursuit alors au-delà de la maîtrise une démarche dite de « perfectionnement, enrichie d’autres traditions ésotériques, chevaleresque, (al)chimiste, kabbalistique. Des traditions dont quelques unes avaient déjà côtoyé les opératifs qui les accueillaient parmi eux lorsque leur mise à l’index par le Vatican générait une hostilité sourde à leur encontre.

Une démarche qui se propose d’expliquer via des paraboles extraites de la mythologie d’Hiram et du temple de Salomon et en les segmentant pédagogiquement, l’art royal de la connaissance et la Loi « unique et multiple » qui régit l’univers, le monde, et la société des hommes.

Mais cette démarche autocentrée, qui se limite à sa propre finalité, tourne sur elle-même, abandonnant toute ambition d’améliorer la société qu'elle décrypte, ou seulement de partager avec elle le fruit de ses travaux. En effet, aussi intéressante soit-elle, elle reste personnelle et introspective, et sans effet sur l’objectif d’une fraternité universelle cimentée par le travail contraignant de la « pierre » dont elle s’est ici séparée. Elle perd le bénéfice de l’enrichissement mutuel et alternatif de la matière et de l’esprit, littéralement métaphysique : « … tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église ».

Le cheminement de la matière vers l’esprit semble bien inscrit dans un Grand Dessein, mais avec ces ateliers supérieurs, les juridictions ordinales donnent à penser que l’initiation se poursuivrait, qu’elle exigerait au-delà des 3 premiers grades un perfectionnement qui ne saurait être trouvé au sein des loges « de métiers », lesquelles ne seraient pas en mesure ( ?) de se hisser au niveau requis pour tirer un enseignement des profondeurs abstraites qui y sont abordées.

Ainsi se constitue une aristocratie monastique hiérarchisée en dizaines de degrés, propre à alimenter longtemps l’imagination des FF, et à les retenir, mais toujours isolée du siècle.

Il n’est pas interdit de penser que, réunis en ateliers dédiés, inter-loges, les anciens VVMM des loges bleues auraient pu poursuivre avec la même compétence, mais plus humblement et avec une meilleure prise sur la réalité, la quête de la connaissance, par définition jamais aboutie, et donc au sens propre « infinie ».

Quoiqu’il en soit, la Grande Loge Unie d’Angleterre est au début du XIXème siècle au centre d’une organisation internationale qui se développe pays par pays via ses accords bilatéraux de reconnaissance mutuelle. Elle contrôle ainsi directement les grandes loges étrangères, et indirectement les juridictions ordinales de rites qui ne peuvent exister indépendamment de celles-ci. Tout est bien verrouillé et cette organisation se nourrira de l’expansion coloniale des empires britannique et français.

Mais cette FM, assujettie au dogme religieux et au pouvoir politique, et retenue par leurs interdits, a trahi l’espérance née dans des loges libres, désormais confinées dans le sarcophage de la GLUA. (cf. "L'Astre noir et dévorant de la F.M. obédientielle", http://ddata.over-blog.com/3/72/30/47/l-astre-noir-et-devorant-de-la-maconnerie-obedientiell.pdf). Ndlr : ce propos évoque la crise de la GLNF (2009/2012), mais les dérives qu’il décrit dépassent largement ce cadre.

Et le piège est aussi philosophique que politique : la composante opérative de nos spéculatifs privilégiait le concret et gardait le contact avec l’œuvre à accomplir. C’est la transformation de la matière qui leur disait où ils en étaient. Mieux que tout, l’ouvrage pouvait affirmer l’avancement du maçon dans l’œuvre, témoigner de sa maîtrise, ou de ses échecs, et donc lui permettre de se perfectionner.

Privés de ce lien avec le réel et de ses contraintes les FFMM spéculatifs cultivent à leur idée des symboles que plus rien ne contient. Evoluant dans un monde purement abstrait, obstinément et exclusivement tournés vers leurs ancêtres, repliés sur eux-mêmes et oublieux des enfants du siècle, ils ne peuvent plus progresser humainement faute d’influence sur la matière et donc de témoin de leur avancement.

Devenus « spiritualistes » en raison de l’analyse introspective qui constitue dorénavant leur seule carrière, et par opposition farouche aux « sociétaux », les FFMM dits «réguliers et reconnus» affichent des idéaux de vertu inspirés des anciens devoirs de la Fraternité maçonnique mais, sans les contraintes de la cité qui allaient avec, cela reste un jeu de l’esprit, privé de la résistance qui lui donnerait de la force. « Poussez la charrue, mais accrochez-là aux étoiles » disait Gérard R. (AGMP,ProvOccitanie,GLNF), mais tous n’étaient pas assez grands pour faire vivre ainsi sans discontinuité l’alliance intime entre la matière et l’esprit, et ceux-là ont cru se libérer en abandonnant la charrue.

 

Antoine Collange

à suivre …

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