Le Myosotis Occitan

Le Myosotis Occitan

Regard sur la Franc Maçonnerie


Fausse route

Publié le 15 Avril 2016, 16:22pm

Fausse route

C'est au XVIIème siècle, ou au XVIème, au sein de loges maçonniques opératives, déprimées sans doute par la raréfaction des grands chantiers et inspirées par l’humanisme de la Renaissance, que naquit la folle idée de lancer une cathédrale à la dimension de l’humanité, un édifice vivant, dont les hommes seraient les pierresLe projet ambitieux d’améliorer la société humaine par le perfectionnement individuel prit corps. Le symbole en sera le temple, à reconstruire, de Salomon et le temple intérieur par lequel chacun contribuera à son édification.

Son cheminement resta confidentiel jusqu’aux frémissements des Lumières qui vinrent ensemencer ce terreau. De nombreux clercs, sensibilisés par l’esprit du temps et attirés par l’ambition de la vision proposée, frappent alors à la porte des loges. Ils y sont acceptés malgré leur ignorance des métiers, pour leur différence, et le brassage des idées qui en résulte nourrit des spéculations audacieuses, métaphysiques, sociales, politiques. La notion de dignité humaine y prospère. Les organisations traditionnelles fondées sur le rapport de forces de droit divin y sont remises en question.

A tel point que les pouvoirs politiques et religieux entreprennent de contrôler ce mouvement. Une réaction politique se dessine au début du XVIIIème siècle en Angleterre, à l’initiative de religieux et d’aristocrates. Ce sera la réunion, au sein d’une première "Grande Loge de Londres et Westminster", de trois loges auparavant libres qui se soumettent alors à une structure hiérarchique commune.

Le mouvement se développe, mais immanquablement, un tel regroupement entraîne en son sein le réveil des égos et l’apparition de « chapelles ». Des divergences troublent alors la « F.M. spéculative » naissante, comme celle qui oppose traditionnellement les anciens et les modernes dans toute évolution d’un groupe humain. Pendant ce temps-là, au moins les FFMM qui ont fort à faire pour se définir, pour se comprendre eux-mêmes et établir des règles, n’embêtent-ils personne, et surtout ils ne s'occupent pas de politique. Un siècle plus tard la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA) réunit, bon gré mal gré, les principaux protagonistes sur l’objet affiché de rassembler ce qui est épars, et s’érige dès lors en référence maçonnique, reprenant à son compte l’universalité de la démarche initiale.

Elle généralise alors ses propres règles, qui notamment interdisent la remise en question au sein des loges des autorités temporelles et spirituelles et qui exigent que les loges, qu’il convenait de « tenir » tranquilles, se soumettent à son autorité. Ces règles constituent toujours aujourd’hui la base de la « régularité » maçonnique, et il serait difficile d’être plus clair sur les intentions conservatrices de leurs rédacteurs et de ceux qui les ont relayées.

Ainsi, des loges maçonniques autrefois libres et inspirées avaient-elles sombré dans des querelles identitaires absurdes du fait de leur regroupement dans des appareils normalisateurs, signant le succès, au-delà de toute espérance, de la manœuvre destinée à les contrôler.

La F.M. londonienne, devient donc définitivement « officielle » après s’être appropriée le terme de régularité, ce qui impliquera dès lors que toute initiative qui lui est étrangère soit par nature irrégulière. Elle se développe à l’international par des traités de reconnaissance bilatérale et exclusive avec chacun des pays de l’empire britannique, mettant ainsi, via les GGLL, les pouvoirs à l’abri de tout risque évolutionnaire d’origine maçonnique. Bien implantée au sein des armées, cette F.M. d’état participera à la cohésion de l’empire colonial qui la servira en retour.

 

Le temps passant, le succès de la F.M. s’affirme, fort de l’intérêt pour ses membres de rencontres entre des hommes différents que rien ne prédisposaient à se connaître, et de l’intérêt pour l’ordre public que lesdits membres s’interdisent de débattre de sujets politiques ou religieux, ce à quoi veillent les GGLL. Ce succès éveillant des convoitises, les initiatives, et les GGLL, se multiplient. Toutes prétendant à des spécificités, cultivées par leurs états-majors mais dont l’intérêt est souvent difficile à percevoir et, dans leur souci d’identité, elles excluent plus qu’elles ne rassemblent.

Le besoin de reconnaissance, et le succès du piège de la « régularité », sont tels que nombre de GGLL persistent à courir après la reconnaissance londonienne, confortant celle-ci dans la position de référence à laquelle elle prétend. Dans l’espoir d’obtenir cette reconnaissance, certaines se livrent à des surenchères règlementaires et à des sélections et des exclusions catégoriques qui les éloignent toujours plus de la cathédrale universelle entrevue un instant.

Et l’on s’aperçoit alors que les GGLL ont construit une tour de Babel avec les pierres de la cathédrale !

Dans la foulée de la GLUA, les GGLL, en particulier celles qui se revendiquent « spiritualistes » et semblent confondre la spiritualité et la religion, la métaphysique et la magie, invitent leurs membres à trouver la liberté dans la soumission. Les règles qu’elles multiplient ne sont plus au service d'une démarche maçonnique, elles sont destinées à contenir leurs membres dans l’obéissance, pour la conservation de la GL à laquelle ceux-ci « appartiennent ». Trop fragiles dans leur légitimité pour supporter les critiques elles les ignorent avec arrogance, elles les nient ou les combattent. Et limitant leurs recherches à l’analyse infatigable du génie du passé sans aucun application pour le présent et sans projection sur l’avenir, ces GGLL ont signé l'arrêt de mort de la F.M. en confinant la démarche maçonnique et en la privant de tout espoir d’évolution.

 

En résumé, la F.M. spéculative a manqué le RV que l’histoire lui avait ménagé avec les Lumières. C’est le regroupement des loges au sein de GGLL, dont la dimension réveille les convoitises, qui les a privées de leur génie. Elles ont abdiqué leur liberté dans des structures politiques, et perdu leur inspiration dans des querelles d’appartenance. Et plus encore la F.M. dite « régulière », qui s'interdit les recherches politiques et religieuses pour éviter sa propre remise en question, aujourd’hui archaïque à force de conservatisme, et en voie d’extinction dans les pays où elle s'était imposée.

Si l’Esprit des origines survit encore, il réside dans les loges qui sont les cellules-souches de la F.M. spéculative. Elles ont été voilées mais parmi elles, zones franches de la pensée libre, débarrassées du carcan des GGLL, que l’esprit des origines se manifestera à nouveau.

Libérées des exigences identitaires d'états-majors empêtrés dans leurs appareils, les loges et leurs membres se reconnaîtront dans le respect de la "loi morale" (1). Elles pourront même mettre en place des entités structurelles élargies, que la société moderne rend nécessaires pour assurer leur représentation collective, et la mutualisation de leurs moyens, mais ces instances ne peuvent revendiquer aucune autorité sur les loges, autre que déléguée et réversible.

Tel est le prix pour rendre la F.M. au présent, et à l’avenir.

(1) De la loi morale découle la dignité de la personne. Car se donnant à lui-même sa loi, l’homme a non seulement un prix, c’est-à-dire une valeur relative, mais une dignité, c’est-à-dire une valeur intrinsèque : L’autonomie est donc le principe de la dignité de la nature humaine et de toute nature raisonnable“. (Fondation de la métaphysique des moeurs, E. Kant)

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
R
Mon cher Pierre, Tu connais depuis longtemps mon avis à ce sujet et je me réjouis de partager ta réflexion. Courage, la Maçonnerie n'est pas l'Obédience. Certains l'ont compris mais on leur mène la vie dure!! La Liberté effraie. Les grands espaces de l'Esprit, sans limites autres que celles que l'on s'impose, inquiètent.
Répondre

Archives

Articles récents