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Mais cette évolution n’est encore que partiellement explicable : si l’opposition des opératifs et des intellectuels ne surprend pas, si l’évolution de l’un à l’autre paraît néanmoins naturelle et inéluctable, d'où viennent ces interdits politiques et religieux qui apparaissent dans la Règle édictée par la GLUA, ces interdits qui président à toute Reconnaissance par elle, et qu’elle a ainsi imposés à l’ensemble de la F.M. dite « régulière et reconnue » ?
Si l’on excepte l’arrogance aveugle des régimes totalitaires qui ont rejeté toute idée de liberté individuelle,
De tels interdits ne font pas l’affaire des seuls régimes totalitaires. Les dirigeants de pays démocratiques n’aiment pas eux non plus que l'on se mêle de leurs affaires, et non plus l’Eglise qui n’entend pas partager son monopole de l’interprétation de la pensée divine. Par ces interdits qu'elle s'est imposés, la GLUA n'aurait donc eu d'autre intention que de s'assurer la neutralité bienveillante des pouvoirs temporels et religieux ?
Rien d'étonnant donc si, trois siècles après, en ce début du XXIème, l’on constate que la FM dite « régulière et reconnue », ou qui aspire à cette reconnaissance, implantée dans la plupart des nations du globe, a su se maintenir à proximité des pouvoirs, lesquels disposent avec elle d’une population docile, attirée par une promesse de Fraternité et de Tolérance, et dans le même temps d’un outil politique d’information, de communication et de contrôle, au cœur de la société et donc bien contenu par ses propres interdits.
Comment l’idéal, qui reste affiché, d’une Liberté affranchie des aliénations humaines, a-t-il pu être réduit et détourné à ce point ? Cela relève-t-il de la dégénérescence d’une démarche déjà usée, condamnée par l’évolution ? Ou bien, potentiellement subversive et dangereuse pour les pouvoirs temporels et spirituels, aurait-elle été sciemment détournée dans une réserve ? Tel est sans doute le cas, nous allons voir pourquoi et comment :
A la fin du XVIIIème siècle en effet « le sabre et le goupillon » sont bousculés, et les dispositions restrictives de la GLUA quant aux débats politiques et religieux font bien les affaires des états et de l’Eglise anglicane qui se protègent ainsi contre de possibles nouveaux foyers de subversion.
Ainsi que nous l’avons vu, un cycle historique de plusieurs siècles a pris fin, intuitif, superstitieux, dominé par ls croyances sacralisées. Après le printemps de la Renaissance, un autre cycle a vu le jour : les Lumières ont ouvert une ère « mécaniste », qui voit les sciences rationnaliser la connaissance et réduire les croyances à ce qu’elles sont, des mythes, parfois fondateurs, parfois destructeurs, qui s’inventent des origines et qui se pétrifient en dogmes.
La Réforme luthérienne intervenue 2 siècles plus tôt a dressé contre Rome un pan entier de la chrétienté.
La révolution française vient de débarquer la monarchie, et elle a exproprié l’Eglise. Des FFMM n’y sont pas étrangers, les précurseurs de ceux qui à partir de la fin du XVIIIème siècle lutteront pour arracher l’Education en France des mains de l’Eglise qui en détenait le monopole et le gérait pour sa propre durée.
Le sabre et le goupillon ont, l’un comme l’autre, intérêt à contrôler ce mouvement qui réunit, à ce moment encore ensemble, des artisans et des clercs chaque jour plus nombreux, qui allie la générosité de la Foi qu’il revendique, ou qu'il respecte, avec la capacité critique, et dont la liberté de pensée inquiète les pouvoirs temporel et spirituel. Dans le même temps la science et la philosophie remettent en question le modèle universel de l’Eglise, et le droit divin qui légitime les monarchies.
Le clergé est hostile à ces FFMM, même si leurs anciens ont construit ses cathédrales : ces hommes sont des croyants, certes, mais ils sont libres, ils ignorent les frontières, ils voyagent dans le monde connu. Bâtisseurs avant tout, ils ont construit des mosquées et des châteaux avec le même enthousiasme que des cathédrales. Ils puisent et développent leurs techniques dans les échanges qu’ils adaptent d’une culture à l’autre. Pour eux, Dieu dont ils sont l’instrument est dans l’œuvre, dans le nombre d’or, dans la résistance des matériaux, dans la clef de voûte, dans la courbe subtile de l’arc-boutant, et dans l’inspiration des artistes. Le clergé ne les impressionne plus. Ils l’ont dépassé.
La monarchie craint plus simplement que ces FFMM ne conduisent à l’émancipation une classe moyenne, traditionnellement docile. Elle craint que la population écrasée ne comprenne que l’Eglise protège le prédateur en invitant la victime à se soumettre contre la promesse d’une place au paradis de moins en moins crédible.
La double interdiction faite par la GLUA de parler de religion et de politique, enrichie encore par la dédicace des travaux en LL au GADLU, « qui est Dieu », et l’attribution de la G.M. à un membre de la famille royale britannique, montrent à l’évidence que la GLUA a recherché la bienveillance de l’ordre établi en s’y soumettant, se plaçant ainsi sous leur protection.
Elle a justifié sa soumission au nom d'anciens devoirs qu'elle a déformés pour y glisser des dispositions opportunes. Il y a en effet une énorme différence entre le respect dû autorités religieuses et politiques, lequel s’imposait dans la démarche maçonnique envers les maîtres d’ouvrages, et l’interdiction d’en parler édictée par la GLUA au nom d’anciens devoirs aménagés pour plaire aux pouvoirs.
La F.M. spéculative « régulière et reconnue » n’est plus une société d’hommes libres. Les règles dont elle s’est dotée la rangent de fait parmi les accessoires des pouvoirs temporels.
Cela n’eut pas été possible avec des LL souveraines et autonomes, mais cela fut possible grâce à l’organisation de GGLL ayant pouvoir sur les LL, et elles-mêmes contenues par la toile des reconnaissances bilatérales et croisées dont la GLUA est l’araignée.
« Si le peuple pouvait n’avoir qu’une seule tête que je puisse couper » (Caligula)
Une seule tête ? C'est alors presque fait !
Antoine Collange