S’il doit y avoir un débat sur la finalité, spiritualiste ou sociétale, de la F.M., il devra prendre en considération le détournement d’objet intervenu en 1717 (création de la « Grande Loge de Londres et Westminster »), et surtout en 1813 avec la « Grande Loge Unie d’Angleterre » qui résulta de la fusion de la GLLW avec la « Grande Loge des Francs et Acceptés Maçons selon la Vieille Institution ». Cette dernière s’étant créée en 1751 en opposition à la précédente avant de fusionner avec elle. Les règles instituées à l’occasion de cette fusion ont privé la société humaine de l’intelligence de milliers de FFMM qui auraient été plus utiles à l'Humanité en participant à la vie publique plutôt qu’en s’interdisant les débats politiques et religieux dans les seuls endroits où ils pouvaient se dérouler à l’abri des passions: les LL.
Il va de soi que les FFMM respectent les autorités légitimes, mais peuvent-ils être indifférents lorsque celles-ci n’honorent pas les charges que l’on leur a confiées ?
De même, la Foi transcendée ne se situe-t-elle pas bien en amont des applications confessionnelles dogmatiques ?
Et n’avons-nous pas été conduits à prendre des vessies pour des lanternes? A confondre une religiosité superstitieuse et une liturgie incantatoire, avec l'évolution vers l’esprit qui inspirera Teilhard de Chardin au XXème siècle ?
En prétendant « rassembler ce qui était épars » la Grande Loge de Londres et Westminster au XVIIIème siècle, puis la Grande Loge Unie d’Angleterre au XIXème, ont certes réuni la F.M. mais c'était pour la contrôler, constituant une force de réaction contre les Lumières qui menaçaient l’ordre établi. Les interdits politiques et religieux de la F.M., qui apparurent en ces circonstances, mirent les monarchies et l'Eglise à l’abri des remises en question subversives venues des LL dont l’effervescence intellectuelle était d’autant plus intense que les grands chantiers se faisaient rares et que nombreux lettrés "acceptés", inspirés par les Lumières, les avaient rejointes.
Privant la F.M. de son rendez-vous avec les Lumières, cette prise en mains l'a mise sous l’éteignoir, au nom d’une tradition soigneusement triée, ne laissant rien au hasard puisqu'un incendie criminel ravagea en 1720 les archives maçonniques réunies à Londres, dont furent sauvés essentiellement les documents en Anglais.
Les hommes des Lumières se sont intéressés à la F.M. qu’ils avaient rejoint nombreux, mais l’Esprit qu’ils véhiculaient a été étouffé par des règles obscurantistes qui détournèrent la F.M. de la route éclairée et universelle qui s’ouvrait.
Obscurantisme !
Comment qualifier autrement le péplum permanent et immuable dont s'est affublée la F.M. "régulière et reconnue" ce qui ne fut qu'une réaction à la modernité d'une nouvelle ère ? Que dire de la mise en scène qui, pour retenir les hommes, veille si scrupuleusement à flatter leurs goûts pour l’apparat, la reconnaissance, et les titres à l’infini, toutes ces aliénations qu'elle n'a de cesse de condamner dans ses propos ? Et que déduire du fait que les conditions pour en bénéficier soient de ne jamais aborder les questions politiques et religieuses ?
Aujourd’hui la F.M. dite « régulière et reconnue », et avec elle celle qui aspire à l’être, éprouvent ensemble le besoin de réaffirmer leur spiritualité par opposition à une F.M. qu’elles qualifient de « sociétale ». Pressentent-elles que l'Histoire leur échappe ? Cette posture, qui est en contradiction avec l’universalité revendiquée, semble indiquer que la recomposition en cours de la F.M. française a fait (re)naître des espérances qui bousculent les archaïsmes conservateurs.
Bien sûr que « La franc-maçonnerie est forcément interpellée par l’état de la société » (Daniel Keller, GM du GOdF). Comment pourrait-il en être autrement pour les FFMM qui cultivent la connaissance et les vertus et qui combattent le vice pour l’amélioration de l’humanité toute entière. Le FM est bien un homme dans la cité. Il n’est pas le contemplatif auquel certains appareils voudraient le réduire pour mieux se protéger de ses vélléités "utopiques" pour un monde meilleur.
Sa démarche est séculière, et sa réflexion ne saurait être déviée en d'abyssales spéculations mystico-religieuses émaillées de congratulations dithyrambiques. La démarche maçonnique ne saurait pas non plus être confinée dans des ateliers pour la seule satisfaction égoïste du besoin de reconnaissance mutuelle de ceux qui les fréquentent.
Le couvercle de plomb a été un moment soulevé à la GLNF, permettant à de nombreux FF de retrouver leurs esprits et leur liberté, avant qu’il ne se referme. Les évènements vécus et la liberté retrouvée nous ont permis de mesurer l’ampleur de la dérive dont nous étions les jouets. Et aussi de trouver ses origines dans les préoccupations identitaires de GGLL devenues leur propre finalité, au mépris de la souveraineté des LL dont elles tiennent leur légitimité.
Les LL sont les cellules souches de la F.M. universelle. Elles sont souveraines, tant au plan civil qu’initiatique. Les GGLL ne sont pas issues de la tradition dont elles prétendent imposer leur interprétation. Elles ne sauraient, notamment en matière initiatique, s’arroger une autorité au-delà des nécessités de la représentation et de la gestion des moyens communs.
Lorsqu’elles outrepassent cette délégation, il appartient aux FF et aux LL de le leur dire, et de défendre en toutes occasions la démarche ouverte, éclairée, des FFMM libres de toutes aliénations individuelles et collectives.
Nous n’avons perdu que 3 siècles !
Antoine Collange